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Conduite du changement

Adopter de nouveaux outils, changer les habitudes : une ambition à hauts risques

Éviter l'échec

Ne tournons pas autour du pot : imposer de nouveaux outils (libres ou non) à vos collaborateur⋅rice⋅s, c'est prendre des risques ! Sans discussion préalable et sans préparation, l'échec pointera son nez. La stratégie à adopter, dans ce domaine, consistera à pratiquer l'ouverture, la transparence, et à permettre une prise de décision la plus horizontale possible. Avec des logiciels libres, même si vous êtes persuadé·e du bien-fondé de votre décision, l'absence de consensus est fatale. Les logiciels libres ne sont pas que des communs disponibles pour tou·te·s : les utiliser collectivement, c'est aussi prendre conscience qu'on participe à ces communs numériques, et à ce titre, l'effort doit lui aussi être partagé et non imposé.

Ménager les tensions

De nombreux facteurs d'inhibition, plus ou moins justifiés, empêchent une personne d'adopter spontanément de nouvelles pratiques. Face aux logiciels libres on a tendance à penser qu'un logiciel privateur et payant sera bien plus efficace pour la structure et rendra plus facile la prise en main individuelle. Parfois, les barrières psychologiques sont bien plus difficiles à franchir que des contraintes techniques vérifiables.

Toutes ces tensions dans l'esprit des utilisateur⋅rice⋅s doivent être traitées avec la plus grande bienveillance.

Il ne faut pour autant pas nier qu'un logiciel libre manque parfois d'ergonomie ou propose une interface difficile à appréhender. Il n'est pas toujours aisé de convaincre ses collaborateur⋅rice⋅s que les valeurs de libertés, de partage et de solidarité portées par les logiciels libres valent quelques menus sacrifices sur l'autel de l'esthétique. De même, adopter des logiciels libres, c'est souvent utiliser des protocoles, des formats et des concepts inconnus jusqu'alors par les utilisateur⋅rice⋅s : cela suppose de nouveaux apprentissages avec des niveaux de compréhension différents. C'est pourquoi il est important non seulement d'évaluer l'adhésion de vos collaborateur·rice·s mais il est tout aussi important de discuter avec eux⋅elles d'une période de transition à la fois technique et organisationnelle.

N'imposez jamais un logiciel libre : on n'assène jamais la liberté à autrui !

Les contournements

Il est important, avant tout changement, de bien analyser les pratiques individuelles. Un questionnaire ne suffira pas car toutes les pratiques ne peuvent pas être formalisées avec des mots. Il faut se réunir, échanger de manière ouverte et même envisager d'observer longuement les futur·e·s utilisateur·rice·s de logiciels libres.

Par exemple, dans un flux de production, les utilisateur⋅rice⋅s peuvent avoir des habitudes qui ne correspondent pas à l'usage normal du logiciel qu'il⋅elle⋅s utilisent. Par manque d'expertise ou de formation, ou parce que le logiciel ne permet pas certaines manœuvres, les personnes utilisatrices peuvent mettre en œuvre des stratégies pour contourner les contraintes du logiciel et obtenir un résultat. Comment ferez-vous pour interpréter ces manœuvres et les intégrer au mieux dans le nouveau système que vous allez mettre en place à base de logiciel libre ?

L'interopérabilité, c'est bien, mais cela suppose de nouvelles pratiques

Nous avons mentionné les formats. Un format ouvert ou libre est dit interopérable parce que ses spécifications techniques étant connues de tou⋅te⋅s, son interprétation est possible d'innombrables manières.

C'est pour cette raison que, par exemple, le format OpenDocument (comme le .odt qu'on peut créer avec la suite bureautique LibreOffice) est encouragé par de nombreuses administrations publiques et il est même défini par des normes (dont l'ISO 26300), ce qui n'est pas le cas pour des formats fermés (comme le .doc de Microsoft).

Utiliser ces formats dans un environnement où les logiciels propriétaires imposent leurs propres usages et formats, cela implique de devoir s'adapter.

Par exemple, si une administration publique envoie à votre association un questionnaire au format .docx (contrairement aux préconisations), il sera possible de le lire et l'enregistrer avec LibreOffice, mais cela implique une certaine attention lors de la conversion. Un problème qui ne se posait pas auparavant.

Êtes-vous légitime ?

Vous êtes passionné⋅e de logiciels libres, vous utilisez personnellement un ordinateur sous GNU/Linux, on vous demande toujours des conseils et vous dépannez vos collègues et vos ami⋅e⋅s pour qui vous être prêt⋅e à dépenser beaucoup de temps. Vous êtes formidable !

Mais cela fait-il de vous pour autant la meilleure personne pour planifier la transition vers le Libre de toute une organisation, comme une association avec ses membres bénévoles et ses salarié⋅e⋅s ? Peut-être que oui : à condition d'élaborer un plan communément accepté et surtout de ne pas être le⋅la seul⋅e à décider.

  • le « bus factor » (mesure du risque dû à l'absence de partage d'informations) : la personne spécialiste qui a installé les logiciels libres sur toutes les machines du secrétariat vient d'être malheureusement reversé par un bus et ne sera plus là pour les prochaines mises à jour. Et voilà des collaborateur⋅rice⋅s réduit⋅e⋅s à travailler avec des versions obsolètes de logiciels parce qu'il n'y a plus personne pour s'en occuper.

  • L'exclusion : une majeure partie des membres bénévoles d'une association décide d'adopter Mattermost pour communiquer entre eux⋅elles sans se soucier des autres membres qui ne trouvent pas le temps de s'auto-former au logiciel ou de l'installer : le procédé devient exclusif et les membres isolé⋅e⋅s quittent l'association.

Évaluer les coûts

Tout changement implique des coûts. Ils peuvent être humains ou financiers et s'évaluent dans le temps. Si vous décidez d'utiliser des services éthiques en ligne, vous allez devoir soit acheter un serveur ou un hébergement de serveur, soit louer l'hébergement du service auprès d'une instance maintenue par un tiers de confiance (comme l'un des CHATONS).

Auparavant votre association pouvait profiter de l'offre gratuite de stockage chez DropBox. Désormais non seulement vous allez devoir payer un hébergement sur une instance Nextcloud mais en plus vous allez devoir organiser la transition, sauvegarder l'existant, importer les documents (et les re-trier), apprendre à vos collaborateur⋅rice⋅s comment se servir de la nouvelle interface... Bref, pensez que tout cela prend aussi du temps.

Dans tous les cas, l'indépendance que vous offrent les logiciels libres implique des efforts que votre organisation doit anticiper. Mais attention : la taille de votre organisation ne présume en rien de ses capacités à effectuer une bonne transition vers le Libre.

formats-ouverts L'échange de fichiers est problématique si
on ne prend pas en compte la question de
l'interopérabilité des formats. Tout le
monde n'utilise pas les mêmes logiciels :
c'est une liberté, pas une contrainte.
Extrait de l'affiche « Formats ouverts,
pour quoi faire ? »
, April, 2012.
Graphisme : Antoine Bardelli
Licence Art Libre